Fadila Laanan, Ministre belge de la culture: "La culture est le moyen naturel de l’homme pour lutter contre l’ignorance et la barbarie"
Les relations de coopération culturelle entre le Maroc et la Belgique sont nombreuses et récurrentes. En quoi cela est important pour vous en tant que Ministre de la Culture?
Vous avez effectivement raison de souligner que la coopération culturelle entre la Belgique francophone et le Maroc est très importante, car elle est, en effet, le fruit de l’accord de coopération conclu entre les gouvernements de nos deux pays. Cet accord permet aux deux gouvernements de fixer les priorités qui seront retenues et ensuite concrétisées par des projets associant les institutions et opérateurs culturels marocains et belges francophones. En ma qualité de Ministre de la Culture, je ne puis que m’en réjouir fortement puisque d’une part, la culture étant par essence de portée universelle et appartenant à toute l’humanité, tout ce qui permet de la faire circuler va dans le bon sens, celui de la connaissance de l’Autre et de sa re-connaissance et d’autre part, je suis particulièrement heureuse que le Maroc, pays de mes origines, puisse faire découvrir aux Belges la richesse et l’étendue de son patrimoine culturel mais également la diversité et la créativité des expressions artistiques et culturelles de ses artistes contemporains.
Dans un pays comme la Belgique, qui compte un nombre important d’habitants d’origine marocaine, comment gère-t-on l’accès à la culture, et en l’occurrence aux cultures?
La Belgique est un pays qui présente des caractéristiques propres sur le plan de la diversité de sa population, particulièrement à Bruxelles, véritable métropole multiculturelle. Je suis convaincue que la présence de nombreuses populations aux origines diverses constitue un réel atout pour la société à condition que les politiques publiques intègrent cette dimension de manière positive. En ce qui concerne mes responsabilités ministérielles, l’accessibilité de la culture à tous a été mon cheval de bataille lors de la législature précédente et continue à l’être actuellement bien entendu, car il s’agit ici d’une politique à long terme. J’ai pris des mesures budgétaires de soutien et d’incitation aux actions interculturelles, notamment celles portées par les opérateurs culturels, afin de tenir compte de tous les publics dans l’offre culturelle proposée. J’ai également instauré une mesure de gratuité des musées et fait adopter une politique tarifaire spécifique en faveur des publics défavorisés grâce au système de distribution de “chèques culture”. J’ai la conviction que les pratiques interculturelles permettent de décloisonner les groupes, d’empêcher les formations de ghettos “mentaux” chez les individus, car elles favorisent les relations d’ouverture à l’autre dans un rapport de découverte. Il faut que les individus et les groupes puissent se rencontrer, se connaître pour ensuite échanger et évoluer ensemble dans la société.
Que vous apporte au quotidien, au poste que vous occupez, votre double culture?
Dans le cadre de ma fonction, je me sens comme mes collègues, il me semble que cela ne joue pas particulièrement. Vous savez, je ne me pose jamais la question de mon identité culturelle, je suis née en Belgique et me considère de culture “belge” et pour être plus précise je dirais bruxelloise ou belge francophone. La culture que m’ont transmise mes parents fait entièrement partie de moi et est associée harmonieusement au reste de mon identité. De manière générale, je pense que les appartenances multiples peuvent être une source de richesse personnelle et aide certainement à acquérir des clés pour la compréhension du monde.
Jeune, vous vous occupiez déjà du Centre de Jeunes “Jeunesse Maghrébine”. Que représente pour vous le Maroc et en quoi, dans votre vie, résonne-t-il en vous?
Je demeure toujours très attentive à l'évolution du Maroc et à son actualité et je conserve durablement une relation affective parce que c’est le pays de mes parents. C’est donc toujours avec un réel plaisir que je m’y rends, que ce soit dans le cadre de mes fonctions à l’occasion de divers événements culturels ou en vacances familiales.
Quelles sont les valeurs auxquelles vous êtes particulièrement attachées?
Les valeurs démocratiques qui permettent aux individus de s’épanouir en toute liberté. L’équité, la justice sociale, la solidarité sont pour moi les valeurs fondatrices qui concourent à asseoir un état de droit. Sans oublier l’égalité homme - femme bien entendu. Je reste fermement attachée à sa défense et, au-delà du respect de cette valeur fondamentale, l’amélioration de la condition de la femme bénéficie à la société toute entière.
Que doit, selon vous, transmettre la culture dans une société donnée?
Une des fonctions essentielles de la culture vise l’émancipation des individus. La culture est le moyen naturel de l’Homme pour lutter contre l’ignorance et la barbarie. C’est un puissant antidote à la tentation du repli sur soi et aux dangereuses certitudes. La culture doit inviter à l’échange et à la réflexion sur soi et sur nous collectivement. Le regard de l’artiste doit nécessairement être critique et être accepté comme tel. Pour ma part, je suis persuadée que le foisonnement culturel d’une société est la mesure de sa vitalité démocratique.
Quel regard portez-vous sur les mutations du champ culturel au Maroc?
Je suis avec intérêt l’évolution de la société marocaine et particulièrement le phénomène d’explosion créative dans de nombreux secteurs de la vie culturelle et audiovisuelle. Il me semble que la jeunesse urbaine au Maroc est un des acteurs de ces mutations que vous évoquez. L’émergence de nombreux festivals dans la plupart des grandes villes semble répondre à un besoin d’expression d’une grande partie de la jeunesse marocaine. La production cinématographique, la diversité artistique et la qualité des oeuvres dans tous les domaines sont prometteurs. Je trouve qu’il s’agit d’une évolution positive mais suis consciente de sa fragilité. C’est un long processus qu’il faut encourager! C’est précisément l’objet de certains volets de l’accord de coopération entre nos deux pays.
Enfin, comment aimeriez-vous voir évoluer sur le plan culturel les relations entre la Belgique et le Maroc ?
Je souhaite que nos relations de coopération s’intensifient afin de permettre notamment la diffusion des oeuvres, la ciculation de nos artistes et de nos intellectuels. Je suis également favorable par exemple à l’augmentation de co-productions dans le secteur cinématographique. Par ailleurs, et j’en suis particulièrement heureuse, j’ai proposé à mon gouvernement qui l’a accepté, de désigner le Maroc comme pays hôte en 2012 à l’instar de la Palestine qui a présenté en 2008 en Communauté française sa saison artistique et culturelle “Masarat”. J’espère que ce sera un bel exemple de cette coopération dynamique et enrichissante et l’occasion de découvrir le talent des artistes marocains.
Propos recueillis par Muriel Tancrez (parution journal Aufait du 24 novembre 2009) / crédit photo Alexis Haulot